Poésie·Réflexions

La Vache à Colas

Le Huguenot

La corde, le bûcher, le fagot, la potence, La flamme cauteleuse et le chanvre retorsOnt guetté, tour à tour, les os de son vieux corpsQue balafra la dague et coutura la lance  ;
Et le voici, debout dans sa longue espérance  ; Avec l’âge qui vient il sent venir le port, Car sa gorge a chanté au péril de la mortLes Psaumes de David dans la langue de France.
Fidèle à l’âpre Dieu que l’on enseigne au prêche, Un sourire d’orgueil crispe sa lèvre sècheDe huguenot têtu et de bon gentilhomme
Qui pouvait s’enrichir à la cour, s’il n’eût pas, Par dégoût du fumier des étables de Rome, Tiré le maigre pis de la Vache à Colas.

Henri de Régnier
(1864-1936)

Être de la vache à Colas, ou sentir la vache à Colas, est une ancienne expression, aujourd’hui presque entièrement oubliée, qui signifiait être protestant. Bien que son origine soit controversée, elle remonte à coup sûr à l’époque des guerres de religion du XVIe siècle. Selon la version la plus reçue, il y avait dans un petit village, près d’Orléans, un paysan catholique nommé Colas Pannier qui possédait une vache noire, paissant en liberté autour de sa maison. En ce temps-là les huguenots se réunissaient où ils pouvaient pour écouter la parole de Dieu, un hangar peut-être ou une grande étable. Or il advint que durant un de leurs prêches la dite vache s’invita inopinément au lieu de réunion. Un grand tumulte s’en suivit, la bête effrayée se mit à charger les bancs et leurs occupants, mais les huguenots armés comme il convenait en cette période troublée, l’occirent incontinent ; puis on dépeça la vache, on la rôtit, et toute l’assemblée fit bonne chère.

Selon l’autre version, vraisemblablement inventée par les catholiques, Colas était lui-même un protestant, qui juste pour provoquer l’église au pouvoir, aurait partagé sa vache avec ses coreligionnaires durant le carême.

Quoiqu’il en soit, la Vache à Colas, devint du coup le thème de chansons railleuses, et une injure favorite pour désigner les protestants. Citons les quatre premiers couplets d’une complainte huguenote, intitulée Le Légat de la Vache à Colas, qui en comporte vingt-huit…

Pape et Cardinaux,
Archevesques et Evesques
Montés sur vos chevaux,
Et vous, Caphars avecques,
Mettez les pieds à terre
Pour chanter libera
Sur le tombeau funèbre
De la Vache à Colas.

Car en son testament
Elle a eu souvenance,
Pour son enterrement,
De faire une ordonnance
Que, suivant saint Grégoire,
L’on chantera tout bas,
Afin qu’en Purgatoire
Son âme n’aille pas.

Toutefois, elle croit
Que le Pape de Rome,
Du mal qu’elle avait fait
A Colas le bonhomme
Rémission plénière
Lui donne à son trépas,
Comme très-clément père
De la Vache à Colas.

Non obstant, pour monstrer
Sans aucune feintise,
Qu’on ne peut rencontrer,
En la romaine Eglise,
Beste d’un plus grand zèle,
En se voyant si bas :
« Qu’on prie (ce dit-elle)
Pour la Vache à Colas ! »

Ce sobriquet méprisant, être de la vache à Colas est resté en usage jusqu’à la fin du XIXe siècle. Clémenceau l’emploie encore pour parler des protestants, et Henri de Régnier en fait la chute d’un sonnet que nous avons donné plus haut. Au-delà de l’anecdote, celui-ci est intéressant par les images d’Épinal qu’il colle aux deux religions opposées ; il y a en effet dans tout cliché une part de vérité à considérer.

Si l’aveu récent des scandales au sein de la curie romaine, ne fait hélas qu’asseoir la pertinence du treizième vers : Par dégoût du fumier des étables de Rome, on peut par contre s’interroger sur la validité du portrait psychologique du Huguenot historique appliqué au protestantisme évangélique actuel. Dans ce personnage un peu hautain, qui semble vouloir traiter d’égal à égal avec le pouvoir en place, le poète avait peut-être devant lui un portrait d’Agrippa d’Aubigné, et son sonnet nous rappelle qu’au fond un vrai protestant, c’est celui qui proteste, qui ne pactise pas avec César quand sa conscience le lui interdit.

Or il faut bien en convenir : l’évolution du protestantisme, qu’il soit libéral ou aujourd’hui évangélique, a toujours eu tendance à céder à la tentation de recherche de respectabilité. Etre photographié serrant la main du député-maire, passer à la télévision, faire le buzz, se voir cité dans une revue prestigieuse, sont des rêves communs de notre vanité naturelle ; mais ces désirs de reconnaissance et de popularité ne s’accordent pas avec les lettres de noblesse des anciens huguenots, que nous prétendons agiter dans nos mains. Qui sait si la providence divine ne s’apprête pas envoyer aux enfants de la Réforme quelque nouvelle Vache à Colas, dont les cornes et le fort beuglement seront chargés de lui rappeler des origines rustiques et courageuses en un temps de persécution.

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