Poésie·Réflexions

Gabrielle et la tempête

Mon cœur était de douleur oppressé, Je n’avais plus parole ni langage, Mon estomac ressemblait à l’orageQu’élève en mer Aquilon courroucé.
Mille sanglots vers le ciel j’ai poussé, Vrais tourbillons eschelans* ce nuage, Et me sauvant d’un plus triste naufrage, J’ai submergé mon courage lassé,
Non pas des eaux d’une claire fontaine, Mais du torrent des larmes de ma peine, Qui m’ont servi beaucoup pour cette fois,
Car le bon Dieu, voyant sa créature, Souffrir à tort quelque inhumaine injure, Par sa paix sainte apaise ses émois.
* Escheler : escalader.

Si Gabrielle de Coignard (1550-1586) avait participé au concours de poésie organisé par plumeschretiennes.com elle aurait peut-être envoyé par e.mail le sonnet No 24, choisi parmi les 129 que contient le recueil par lequel on la connaît : Œuvres chrétiennes de feue dame G. de C., veuve à feu M. de Mansencal, sieur de Miremont. Aurait-elle remporté le prix ? on ne le saura jamais, il aurait fallut poster ses vers de manière anonyme…

En réalité on possède très peu de renseignements sur la vie de Gabrielle : mariée à vingt ans, veuve à vingt-trois, elle a consacré la douzaine d’années qui lui restait à l’éducation de ses deux filles. Fervente catholique, elle composa durant la solitude de ses nuits tous ces sonnets, qui ne sont sans doute pas parfaits, du point de vue de Ronsard et de sa Pléiade, mais où transparaît une indéniable dévotion au Seigneur Jésus-Christ. Nous en donnons d’autres exemples plus bas.

Son nom n’est pas sans connexion avec l’idée de concours de poésie, car son père, Jean de Coignard, était bien connu à Toulouse en tant que maître de l’Académie des Jeux Floraux. Fondée en 1313, sous le titre de Consistoire du Gai Savoir, cette association de poètes, organisa son premier concours de poésie en 1324 (soit 694 ans avant plumeschretiennes) ! Pour la petite histoire, ce concours était financé par les Capitouls, c-à-d les conseillers municipaux de Toulouse. En 1513 les relations se gâtèrent entre les écrivains et les capitouls : le Consistoire du Gai Savoir voulut changer de nom, tout en réclamant que la municipalité continue à financer le concours.

Les poètes sont volontiers gens facétieux, et parfois assez libres avec la réalité des faits, surtout les Gascons. Ceux de Toulouse inventèrent une poétesse fictive Clémence d’Isaure, morte sous Louis XI, qui aurait cédé tous ses biens à la ville, à condition que cette dernière organise les Jeux Floraux, à ses frais… On alla jusqu’à peindre son portrait couronné de lauriers (que nous avons donné en illustration), dresser sa statue dans les jardins du Luxembourg, et même donner son nom à une rue ; preuve supplémentaire, s’il en fallait une pour des chrétiens, du peu de consistance de la gloire terrestre et parfois de son ridicule.

Les sonnets de Gabrielle sont par contre eux bien réels, à plus d’un demi-millénaire de distance, par la magie de la poésie ils parviennent encore à transmettre la vibration d’une âme désormais hors d’atteinte, à la nôtre.

A l’ombre de la Croix

J’ai le cœur tout ému et l’âme travaillée.Quel ombrage plaisant me pourra réjouir ? Car je ne cherche pas le gracieux plaisir, D’une verte forêt ou riante vallée.
Ce n’est point le repos de ma longue journée, J’ai bien plus hautement appuyé mon désir, A l’ombre de la Croix je me veux rafraîchir, Et goûter la douceur qu’elle nous a donnée.
Sous cet arbre sacré, je ferai ma demeure, Y mettant mon espoir, soit que je vive ou meure, Car il est arrosé de la sainte liqueur :
Dessus ce grand autel notre Seigneur et maître, A répandu son sang pour nous faire renaître, Comme étant de la mort heureusement vainqueur.

̓Αγάπη
Amour est un enfant, ce disent les poètes, Qui a les yeux sillés par un obscur bandeau ; C’est un cruel serpent, un dévorant flambeau, Qui brûle les humains par les flammes secrètes ;
Dardant à tous propos des mortelles sagettes, Il donne en nous flattant la mort et le tombeau, Il vole dans nos cœurs tout ainsi qu’un oiseau, C’est un foudre tonnant, racine de tempêtes.
Chassons donc vitement c’est aveugle étranger, Avant que dans nos cœurs il se puisse loger, Cherchons c’est autre amour qui fait la vertu suivre,
Qui est chaste et parfait, modeste, et gracieux, Dardant ses traits dorés de la voûte des cieux, Non pour nous massacrer, mais pour nous faire vivre.
Songe divin

Je bénirai toujours l’an, le jour et le mois, Le temps, et la saison, que la bonté divineLança ses doux attraits au fond de ma poitrine, Arrachant de mon sein le cœur que je portais.
Un soir il me sembla, ainsi que je dormaisDessous l’obscurité de ma sombre courtine, Que je me submergeais dedans la mer mutine, Haletant à la mort peu à peu je mourais.
J’avais mille regrets de mes fautes commises, Je promettais à Dieu des saintes entreprises, S’il me donnait loisir de vivre encor un peu.
Je m’éveille en sursaut, et mon âme avertiePar ce songe divin de corriger ma vie, Demande ton secours pour accomplir son vœu.

Mes vers sont pour Lui seul.

Mes vers, demeurez coi dedans mon cabinet, Et ne sortez jamais, pour chose qu’on vous die, Ne volez point trop haut, d’une aile trop hardie, Arrêtez vous plus bas sur quelque buissonnet.
Il faut être savant pour bien faire un sonnet, Qu’on lise nuit et jour, qu’Homère on étudie, Et le riche pinceau des muses l’on mendie, Pour peindre leurs beautés sur un tableau bien net.
Demeurez donc mes vers enclos dedans mon coffre, Je vous ai façonnés pour ce que je vous offreAux pieds de l’Éternel, qui m’a fait entonner
Tout ce que j’ai chanté sur ma lyre enrouée.Je me suis à Lui seul entièrement vouée, Ne voulant mes labeurs à nul autre donner

J’irais te trouver au désert.

Si ce mien corps était de plus forte nature, Et mes pauvres enfants n’eussent de moi besoin, Hors des soucis mondains, je m’en irais bien loin, Choisir pour mon logis une forêt obscure.
Las ! je ne verrais plus aucune créature, Ayant abandonné de ce monde le soin :Dans quelque creux rocher, je choisirais un coin, Et les sauvages fruits seraient ma nourriture.
Et là j’admirerais en repos gracieux, Les œuvres du haut Dieu, l’air, la terre, et les cieux, Les bénéfices siens saintement admirables.
Et en pleurs et soupirs requérant son secours, Je passerais ainsi le reste de mes jours, Recevant de mon Dieu les grâces secourables.

Obscure Nuit.

Obscure nuit, laisse ton noir manteau, Va réveiller la gracieuse aurore, Chasse bien loin le soin qui me dévore, Et le discours qui trouble mon cerveau.
Voici le jour gracieux, clair et beau, Et le soleil qui la terre décore, Et je n’ai point fermé les yeux encore, Qui font nager ma couche tout en eau.
Ombreuse nuit, paisible et sommeillante, Qui sais les pleurs de l’âme travaillante, J’ai ma douleur cachée dans ton sein,
Ne voulant point que le monde le sache, Mais toutefois je te prie sans relâche, De l’apporter aux pieds du Souverain.

Au divin Jardinier.

Fauche Seigneur de ton glaive tranchant, Tous les chardons qui prennent accroissance, Aux plus beaux lieux de notre conscience, Et vont toujours les vertus empêchant.
Ce sont les grains que l’ennemi méchantJette sur nous par sa fausse semence ; Viens donc, Seigneur, car la moisson s’avance, Viens de ta main ces herbes arrachant.
Ne permets point que la ronce et l’épine, Gâtent le fruit de la bonne racine :Envoie-nous de la pluie d’en haut,
Pour arroser cette terre infertile, Qui dans son champ ne porte rien d’utile, S’il ne te plaît réparer son défaut.

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